Chroniques 1939 – 1944

La deuxième guerre mondiale débute le premier septembre 1939 quand l’Allemagne attaque sans déclaration de guerre la Pologne. L’Angleterre et la France déclarent la guerre à l’Allemagne le 3 septembre de la même année. Après la défaite effroyable de la Pologne, envahie également par l’URSS, les hostilités connaissent une  période de « répit », on parle de drôle de guerre en France, avant l’offensive allemande de mai 1940 sur le front Ouest. Malgré une résistance héroïque de nombre de ses troupes, la France doit capituler en juin de cette même année, alors que le coup de poignard dans le dos est donné par l’Italie qui déclare la guerre le 10 juin. Mais l’armée des Alpes françaises contiendra facilement les troupes transalpines malgré la grande supériorité numérique de ces dernières.
Les clauses de l’armistice imposent, entre autres, un découpage du territoire français en deux zones, respectivement  la zone occupée et la zone libre avec pour capitale la cité thermale de Vichy dans laquelle s’installent les services de l’Etat français qui a succédé au régime républicain. Les Alpes Maritimes sont incluses dans la zone libre.
Le débarquement des alliés en Afrique du Nord provoque l’invasion de la zone sud le 11 novembre 1942. A l’issue de cette opération la zone libre est occupée par les forces de l’Axe, l’est de cette zone passe sous la responsabilité de l’armée italienne.
Après la chute de Mussolini et l’armistice demandé par l’Italie en septembre  1943, ce sont les troupes allemandes qui remplaceront les italiens et les Alpes Maritimes passent sous leur joug.

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Louis Duhet, deuxième à droite,
prisonnier en Allemagne

Au début du conflit, Tourrettes  est une cité au caractère très rural, avec quelques fermes, qui compte environ 1000 habitants et se concentre autour du vieux village, et les deux routes menant vers Vence à l’Est et Grasse à l’Ouest. Depuis  1935  le maire du village est Adolphe Augier à qui succédera en 1943 Eugène Geoffroy. Quatre conseillers municipaux, Rapet Hyppolite, Jouffroy Clément, Gayraut Baptistin et Belmond Pierre ont été mobilisés en 1939. Au début du conflit l’administration demanda à la municipalité de lui fournir la liste des résidents étrangers habitant la commune et imposa la collecte des armes détenues par la population, surtout des armes de chasse.

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Carnet de route de Louis Duhet avec les adresses de ses amis mobilisés

Du fait du caractère sensible du front Nord Est, le grand Etat-Major français déplaça vers les frontières belges et allemandes des troupes alpines d’active du front des Alpes. Ces dernières furent remplacées par unités créées à partir de réservistes des bataillons de chasseurs pyrénéens. Des soldats de ces bataillons étaient stationnés à Tourrettes, et certains y firent souche et épousèrent des jeunes femmes du pays.
Durant les combats précédant l’armistice, 19 enfants du village seront faits prisonniers pendant la campagne de France et passeront, pour leur grande majorité, cinq ans dans des camps en Allemagne.
A la suite d’un vœu commun, deux de ces captifs  Joseph et « Mimi » Isoardi  ont décidé,  en guise  d’ex-voto  de réaliser la « grotte de Lourdes » qu’on peut toujours voir à gauche en entrant dans la nef de l’église Saint Grégoire. Elle fut construite en pierres de Saint Barnabé par Joseph Isoardi et son frère Dominique, tous deux maçons de profession.

Les réfugiés juifs
L’occupation italienne pour des raisons diverses et malgré les lois anti-juives en Italie fut considérée par les nombreux juifs étrangers ou français comme une période bénie en comparaison de ce qui se passait dans les zones occupées par les Allemands. Ceci conduit à un afflux important de juifs et un certain manque de discrétion de leur part qui facilitera les actions des services allemands quand les Italiens quitteront la France après la chute de Mussolini. En particulier nombre d’associations aident et accueillent les Juifs dans le département en les regroupant dans certaines zones réputées sûres comme  Saint-Martin-Vésubie et Vence qui compte environ 350 « assignés » au début de l’été 1943. Monseigneur Rémond, évêque de Nice, favorise le sauvetage de 300 enfants, cachés dans des presbytères de montagne, des colonies de vacances ou des pensionnats.
La proximité de Vence explique que Tourrettes a également hébergé des Juifs, étrangers ou nationaux, pendant ces années d’occupation.
L’exemple le plus connu est celui du jeune cinéaste Jacques Prévert  qui franchit la ligne de démarcation à l’été 1941 afin de continuer ses activités en zone libre  dans laquelle il pense pouvoir poursuivre son travail hors des contraintes imposées en zone occupée. Après des séjours entre Antibes et Saint Paul, il rejoint Tourrettes avec deux amis juifs, le musicien Joseph Kosma et le décorateur Alexandre Trauner qui du fait de leur religion n’ont plus le droit de travailler. Ces membres du monde du spectacle fréquentent l’hôtel  Belle Terrasse, havre de tranquillité car la nièce des propriétaires était mariée à un officier supérieur allemand en poste à Paris et amoureux de la culture française. Trauner et Kosma avaient loué des chambres dans une modeste pension du village tenue par Olga Mittens, une adorable vieille dame russe, et travaillaient la journée dans la maison de Jacques Prévert.
Quand les pressions et les menaces se firent plus pressantes de la part de la police, de la Milice et de la Gestapo, la majorité de l’équipe travaillant sur le film «  les enfants du paradis » se réfugia à l’auberge du Prieuré, qu’ils louèrent en totalité.

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Le Prieuré à la fin des années 50 (collection privée)

Située  sur la route entre Tourrettes et le Pont-du-Loup, l’un des avantages de cette auberge était qu’elle avait deux entrées dont une située sur l’arrière donnait vers le nord et permettait de se sortir en urgence et se cacher discrètement au milieu des oliveraies et de forêts.
L’étau se resserrant de plus en plus, Trauner et Kosma, au début de l’année 1944, décidèrent de quitter Tourrettes pour rejoindre un maquis solidement implanté sur le plateau de Gréolières.
Mais, il y eut de nombreux cas moins connus qui ont vu des proscrits juifs se réfugier soit dans des cabanes provisoires situées hors de sentiers battus, soit chez des habitants compatissants qui leur apportaient une aide précieuse, en particulier en matière de nourriture.

Les troupes d’occupation à Tourrettes
Les soldats italiens n’ont pas laissé de souvenirs très particuliers aux Tourrettans, si ce n’est le  caractère anarchique et précipité de leur retraite en 1943, en particulier en abandonnant équipements et armements pour ne pas être entravés. Certains allaient jusqu’à jeter leurs fusils dans des puits, comme celui de la Pauvetta.
Le débarquement des Alliés en Sicile en juillet 1943, puis en Italie provoquent l’effondrement du régime de Mussolini qui est arrêté. Le 8 septembre 1943, l’Italie signe un armistice avec les Alliés, provoquant l’invasion des forces allemandes.
Dans les Alpes-Maritimes  c’est la 148 éme Division du Général-major Otto Fretter-Pico  dont  le PC est à Grasse (Hôtel Regina) qui relève alors les troupes transalpines. Il s’agit d’une unité de réserve forte de 13 000 hommes, allemands, autrichiens, polonais, ukrainiens…, avec ses principales unités  stationnées à Nice, à Cannes, à Grasse, à Théoule et à Saint Vallier de Thiey.
Les personnels et véhicules basés à Tourrettes devaient appartenir à la «Panzer Aufklärung» (blindés légers de reconnaissance). Quelques véhicules  étaient souvent camouflés, sous des oliveraies, essentiellement à l’entrée est du village. Un poste de surveillance, protégé par des chevaux de frises et équipé d’un canon antiaérien était établi à la sortie du village sur la route de Grasse après le vallon de Pascaressa dans une grange aujourd’hui détruite.
Les soldats germaniques entretenaient des rapports peu amicaux avec les autres soldats originaires essentiellement de Pologne et d’Ukraine.
Les hommes de troupe étaient logés dans des granges, des greniers  ou des caves. Les officiers, pour leur part, étaient établis chez l’habitant dans des chambres réquisitionnées.
Le comportement de ces soldats a été somme toute correct, certains se rappelant qu’ils distribuaient des tartines aux jeunes enfants, un autre qu’un soldat ayant volé une poule à un Tourrettan avait été très sévèrement sanctionné par sa hiérarchie.
Ce statu quo a  été brisé  après le débarquement allié sur les côtes méditerranéennes, parti-culièrement lors de leur retraite qui a vu passer à Tourrettes de nombreuses unités allemandes sur la défensive, du fait des actions de la résistance. Pierre Noble  évoque la mort de sa grand-mère à cette époque. A la suite des raids aériens sur la côte et aux divers accrochages, l’électricité était coupée et une sorte de couvre-feu imposé. Cette vieille dame en voulant descendre de sa chambre a chuté dans les escaliers. Son petit fils ne put aller chercher un docteur car il était interdit de sortir et une sentinelle allemande postée près de chez lui fit respecter les ordres.  La pauvre dame mourut donc, faute de soins. En outre, toujours reclus chez lui, son petit- fils dut fabriquer le cercueil avec  les quelques planches dont il disposait, car il fut aussi interdit d’aller à Vence pour en acheter un.
C’est le 24 août 1944 à 5 heures du matin que le coup de grâce eut lieu pour la ligne de chemin de fer Nice Grasse. Le lendemain de la libération de Grasse, un petit commando de sapeurs polonais déclenche des charges explosives sur trois grands ouvrages de la ligne du Central Var : le viaduc du Loup (4 arches détruites), le viaduc du Pascaressa (près de Tourrettes, 2 arches détruites) et le splendide viaduc métallique de la Siagne (2 travées détruites, la troisième restant suspendue dans le vide). (voir galerie photos)
Dans leur retraite les troupes de l’Axe réquisitionnaient sans autre forme de procès  les chevaux, les mulets et les ânes ainsi que les bicyclettes.
Bien entendu l’arrivée des troupes américaines dans Tourrettes libérée a été prétexte à une joie intense de la population, amplifiée par la distribution de chewing-gum, rations alimentaires, bas de soie.

La résistance
Comme au plan national, la résistance dans les Alpes Maritimes a eu des débuts très modestes et progressivement s’est révélée assez divisée entre divers mouvements qui avaient parfois du mal à travailler de concert.
Ce n’est qu’au début 1943 que cette résistance a pris de l’ampleur dans le département. Ses principales zones d’activité se situaient, pour des raisons pratiques, dans les grandes villes et dans les régions assez isolées ou enclavées dans lesquelles les troupes d’occupation ne pouvaient agir avec surprise.
Dans les environs de Tourrettes, les principaux maquis se trouvaient à Grasse, Bar sur Loup, Gourdon, Gattières.
Le plateau de Saint Barnabé a été quelquefois utilisé comme zone de largage par les alliés afin de fournir à la résistance essentiellement des armes et des munitions, mais également  des moyens logistiques.

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Le groupe César – Mouvement de combat FFI

Un groupe dénommé « CESAR » du mouvement Combat,  comprenant des Tourrettans était basé au Cheiron. Ses membres venaient parfois se ravitailler, le plus souvent de nuit, dans les fermes tourrettanes.
C’est en redescendant de Coursegoules le 27 août 1944 pour se rendre dans la ville de Vence libérée que des membres de ce groupe ont perdu la vie, ainsi que quatre soldats américains et deux civils, en sautant sur un chapelet de mines posées par les Allemands sur la route du col de Vence. Une plaque commémorative a été érigée à l’emplacement de cette tragédie et tous les ans une cérémonie honore la mémoire des victimes.

Ainsi, il apparait que, somme toute et contrairement à Vence, hors les derniers jours d’août 1944, le village de Tourrettes a traversé la seconde guerre mondiale sans trop de dommages pour sa population. Les troupes d’occupation  ont eu un comportement  assez «bon enfant» et la population n’a guère souffert des problèmes de ravitaillement. Il n’y a pas eu de «règlements de compte» au moment de la libération, le maire a été confirmé à son poste, signe d’un comportement neutre et digne pendant l’occupation. Et pourtant, nombre de ses enfants sont décédés du fait de ce conflit.

Dominique Bagaria