Le retour à la paix, 1944-1948

– Témoignage  de Pierre NOBLE
– La vie communale
– L’histoire d’Herbert Jochmann
– La visite Général de Gaulle

1944-plaque-liberationComme le rappelle  la plaque de marbre apposée sur le mur de l’église Saint-Grégoire, Tourrettes-sur-Loup est libéré le 27 août 1944.
Les Allemands sont en retraite mais les combats vont continuer dans les Alpes- Maritimes, toute la France et l’Empire plusieurs mois encore. Pour preuve des enfants de Tourrettes meurent après cette date : David Matteucci le 4 octobre 1944 tué par un prisonnier allemand au cours de son évasion et Gabriel Musso le 28 mai 1945 à Bien Hoa en Cochinchine lors de combats contre les forces japonaises.

Avant de narrer la période qui voit Tourrettes revivre hors du joug allemand, revenons sur le témoignage synthétique de Pierre Noble, évoqué dans l’article du deuxième bulletin intitulé « Chroniques 1939-1944 ». Ce précieux témoin oculaire a fait parvenir un récit plus détaillé des événements qu’il a vécus.

Témoignage  de Pierre NOBLE
« A cette époque, nous habitions à Toulon  depuis quelques mois. Pressentant les événements, notre père nous avait ramenés à Tourrettes, mon frère et moi, rejoindre notre grand-mère. Elle habitait à Canorgues une maison tout en longueur, chambres à l’étage desservies sur l’arrière par un long couloir, un escalier central très raide débouchant sur l’entrée avec de part et d’autre cuisine et salle de séjour. Une des chambres avait été occupée quelques temps par un officier allemand.
Peu de temps avant le débarquement de Provence, mes parents étant descendus à Vence en autocar, je décidai de les rejoindre à vélo. Arrivé aux premières maisons de Vence une  femme âgée s’est précipitée sur la route en agitant ses bras et en s’écriant : « jeune homme, n’allez pas plus loin, les Allemands ramassent les jeunes et les amènent à la gare».
Je fis demi- tour et remontais à Tourrettes, cette  dame, que je n’ai jamais revue, m’avait évité des désagréments et peut-être même sauvé la vie.
Le soir du débarquement, nous étions, ma mère, mon frère et moi dans la cuisine au rez de chaussée,  seulement éclairé par des bougies, l’électricité ayant été coupée, ma grand-mère étant  dans sa chambre au premier. Depuis quelques heures des vagues d’avions se faisaient entendre. Ayant subi des bombardements à Toulon, je pensais alors que le débarquement se préparait ou avait eu lieu, et d’ailleurs la DCA allemande implantée à la sortie ouest de Tourrettes faisait feu sans discontinuer.
Soudain, un cri et un bruit sourd venant de l’escalier se firent entendre. Nous nous précipitâmes et vîmes ma grand-mère qui, en l’absence de lumières, venait de chuter dans l’escalier. Elle était blessée et nous ne savions trop que faire. Je décidai de partir chercher le docteur. Je n’avais pas parcouru cinquante mètres que je tombai sur un soldat allemand qui m’intima l’ordre de faire demi-tour et de rentrer chez moi. Ma grand-mère a agonisé toute la sur son lit où nous l’avions remontée ma mère et moi. Pendant ce temps, dans un grondement sourd et continu, la côte s’embrasait.
Au matin, j’arrivai à aller chercher le docteur. Hélas, c’était trop tard, ma grand-mère était décédée. Le curé fut appelé et il fut décidé d’organiser ses obsèques. On vint nous prévenir que, vu les événements, il était impossible d’obtenir un cercueil à Vence. On ne pouvait l’enterrer comme cela, tout de même ! Je décidai donc d’essayer de faire un cercueil et je me mis en quête de planches. Je réalisai une « boîte » à peu près rectangulaire, disjointe par endroits, mais somme toute présentable et solide en apparence. On y mit ma grand-mère, recouverte d’un grand drap, et le cercueil fut fermé. En accord avec le curé, elle fut transportée à l’église pour la messe d’enterrement. Après cette cérémonie, le cercueil fut mis sur un charreton tiré jusqu’au cimetière. Je n’avais alors qu’une crainte, que pendant ce transport mon cercueil improvisé ne se disloque ! Il n’en fut rien, et entourée de quelques habitants ma grand-mère fut mise en terre, car il ne fut pas possible d’ouvrir le caveau familial.
Quelques jours plus tard les Allemands évacuaient Tourrettes, réquisitionnant chevaux, mulets et ânes,  en même temps que ceux stationnés à Vence qui remontaient vers Grasse. Le village était libéré ».

La vie communale
Commence alors une période trouble où les pouvoirs mis en place par Vichy sont  remplacés dans un premier temps  par des organismes issus des Mouvements unis de la Résistance  puis progressivement par une administration émanant du Gouvernement Provisoire de la République, présidé par le Général de Gaulle.
C’est une époque sensible, en particulier en matière d’épuration où l’absence de centralisation de la répression entraîne une certaine pagaille et, plus grave, des élargissements incontrôlés  et des disparitions de dossiers ou d’individus.
Tourrettes n’est guère concerné par ces débordements. Certes, il y eut bien quelques lettres à l’Administration préfectorale pour se plaindre du comportement du maire  Adolphe Augier, qui décédera en 1943, de la mauvaise distribution de l’essence dans la commune ainsi que celle des pommes de terre, et même une pétition pour stigmatiser le comportement du garde- barrière de la halte des Valettes qui avait pris l’habitude de se servir sans vergogne dans les potagers et vergers de ses voisins.
Il n’y aura pas d’épuration et la municipalité  élue en 1943 sera reconduite, même si elle devra cohabiter avec un Comité Local de Libération mis en place par les résistants.

Les membres respectifs de ces deux organismes sont, le 14 novembre 1944, les suivants :

Municipalité. Comité Local de Libération
Geoffroy Eugène. Maire
Belmond Pierre
Briquet Joseph
Cresp Joseph Louis
Gayraut Baptistin
Jouffroy Aubert
Mallet Félix
Mallet Pierre-Joseph
Marcellin Augustin
Pons Fernand
Rapet Hippolyte
Teissère Balthasar
Geoffroy Eugène. Président
Gantrot Léon
Isnard Marius
Ordan Jean
Cresp Joseph-Louis
Raynard Marius
Larese Honoré
Gazagnaire Joseph
Isnard François
Hugues Cécile
Escallier Maximin
Bertaina Baptistin

Membre du C.C.L à ses débuts, l’abbé Chabaud, curé de Tourrettes, a très rapidement démissionné.

1944-comite-dep-de-liberat

Document archives communales

Avec le temps, le rôle des deux organismes semblait se recouper largement. La préfecture des Alpes-Maritimes, par courrier du 30 mai 1945, précisait aux CLL leur rôle complémentaire de celui des municipalités, en particulier  veiller à l’épuration dans sa commune, s’attacher à ce que l’esprit de la résistance subsiste en permanence et à ce que les prisonniers de guerre et déportés soient bien accueillis.
Ainsi, sur proposition du commissaire du service des Renseignements Généraux de Cannes, les membres du Centre d’entraide aux prisonniers de guerre de Tourrettes sont désignés:

1944-lettre-au-sous-prefet

Document AD06 (Archives départementales)

•    Titrant Jacques, en congé de captivité depuis le début 1941,
•    Geoffroy Pierre, fils du maire de Tourrettes, évadé au cours de l’année 1943,
•    Duhet Louis, ancien prisonnier, rapatrié sanitaire au début de l’année 1944,
•    Isnard François, prisonnier évadé en 1942,
•    Osteng Jules, boulanger à Tourrettes, prisonnier, évadé deux fois en 1940,
•    Isoardi Joseph, cultivateur ancien prisonnier, rapatrié sanitaire,
•    Franza Joseph, cultivateur, ancien prisonnier, rapatrié sanitaire en octobre 1941.

1944-ceremonie-liberation

Cérémonie de la Libération.
Une section part de l’école pour le monument aux morts

La période qui débute est alors sujette à de nombreuses difficultés, ravitaillement, reconstruction, retour à une administration légale, continuation de la guerre. Cependant, l’un des problèmes majeurs qui se pose très rapidement est celui du déminage. En effet, les forces allemandes avaient préventivement miné les plages pour contrer un éventuel débarquement allié ainsi que certaines vallées du haut pays pour faciliter leur retraite. Cette activité de déminage a favorisé l’implantation à Tourrettes d’un nouvel habitant dont le destin personnel a été  façonné de façon implicite par la deuxième guerre mondiale.

L’histoire d’Herbert Jochmann

1944-g-langNé le 2 juin 1926 à  Lüben en Basse-Silésie, près de la frontière polonaise, dans une famille de fermiers qui élevaient des porcs, il travaillait chez de « gros propriétaires terriens » comme homme à tout faire. Il adorait en particulier conduire ses employeurs à la ville à la tête d’un attelage menant une calèche. Sa vie s’écoulait calmement malgré la guerre.
Mobilisé en 1943, il est sérieusement blessé sur le front de l’Est. Evacué dans un hôpital militaire à Worms,  il est  fait prisonnier par les troupes américaines. Entre temps, ses deux frères étaient morts au combat.
Avec d’autres soldats allemands prisonniers de guerre, il rejoint le 20 avril 1945 une caserne  désaffectée  d’Antibes pour être employé au déminage des plages du port de Golfe- Juan, puis  Nice afin d’être affecté au déminage de la vallée de la Roya.

Les autorités françaises demandent en juin 1945 aux municipalités si elles souhaitaient disposer de prisonniers de guerre afin de participer aux travaux de reconstruction. Ces mises à disposition à compter du 1er juillet de la même année  étaient assorties d’un certain nombre de contraintes à respecter par l’employeur. C’est ainsi qu’il rejoint Tourrettes.

1945-telegramme

Document archives communales

Il signera un premier contrat d’une durée d’un an chez Louis Duhet, en tant que cultivateur. Puis le 28 février 1948, il obtiendra une carte de travail en tant qu’étranger titulaire d’un contrat d’introduction. Il travaillera sept ans chez cet employeur, avant de rejoindre l’entreprise de maçonnerie Isoardi au sein de laquelle il fera toute sa carrière.
Dans ses divers emplois il fera montre d’une humeur toujours enjouée, de force et de capacité de travail hors du commun. Toutefois, il ne se départira jamais de son accent germanique que ses amis moqueront toujours gentiment.
Il se mariera en 1956 avec Marie Zuccarelli, une Niçoise réfugiée à Vence en 1942.
Naturalisé  français le 2 juillet 1964, il prendra officiellement le prénom de Gustave, mais tout le monde l’appellera encore et toujours Herbert. Parfaitement intégré à la population locale, il sera pendant de nombreuses années un des rares hommes à appartenir  à la chorale paroissiale et largement impliqué lors des fêtes des violettes.
Fin chasseur, participant aux nombreuses battues au sanglier, il fut un des derniers «tourrettans» à aller au lièvre avec son chien.
Il décède en janvier 2013 à son domicile après plus de soixante années passées dans ce village qui l’avait adopté sans aucune retenue.

La visite du Général de Gaulle
1948-De-Gaulle-1Pour conclure cette chronique arrêtons-nous à l’année 1948. Le général de Gaulle a quitté le pouvoir en 1945 pour se retirer dans sa propriété de Colombey-les–Deux-Eglises. Néanmoins, ses partisans ont créé  en 1947 le « Rassemblement du peuple français » dont le général reste la figure tutélaire.
Aussi, parcourt-il la France pour donner des conférences destinées à préciser sa conception d’une nouvelle organisation de la vie politique.
Ainsi, entre deux réunions publiques à Vence et à Grasse, il  fera, le 14 septembre 1948, une halte à Tourrettes.
Accueilli par le maire Eugène Geoffroy, il se recueillera et prononcera une allocution devant le monument aux morts en présence de la population, les enfants agitant des drapeaux tricolores distribués à l’occasion, avant de reprendre sa route en direction de la sous-préfecture des Alpes-Maritimes.

1948-De-Gaulle-5     1948-De-Gaulle-3

1948-De-Gaulle-2        1948-De-Gaulle-4
Photos familles Tavella et Isoardi

Dominique Bagaria