Les origines médiévales

La commune de Tourrettes-sur-Loup contient au moins quatre sites liés à une occupation médiévale. Le village actuel comporte une église et un château remontant tous deux au Moyen Age. A Notre-Dame de Pelote subsistent les ruines d’une église médiévale. A Courmettes, ce sont les traces d’un château et d’un petit village du Moyen Age. Aux Valettes, enfin, un château et un petit village médiévaux sont signalés dans les textes anciens, mais ils restent à localiser avec plus de précision.

 

Les premières églises et les territoires preféodaux

Saint-Grégoire de Tourrettes et Saint-Martin de Pelote

Eglise St Grégoire

C’est généralement par le biais des lieux de culte que nous parviennent les informations les plus anciennes sur le peuplement médiéval. A Tourrettes, les textes et le terrain nous révèlent l’existence de plusieurs églises médiévales; on en dénombre probablement quatre, qui sont celles de Tourrettes, de Pelote, de Courmettes et des Valettes. Parmi elles, Les deux premières sont conservées sur le terrain, les deux dernières ont disparu. Malgré la disparité des informations que nous possédons sur ces différentes églises, et sous réserve d’une étude architecturale et d’une prospection sur le terrain plus approfondies, nous pouvons faire plusieurs remarques importantes.

Les églises Saint-Grégoire de Tourrettes et Saint-Martin de Pelote retiennent tout particulièrement l’attention. La première est peut-être signalée pour la première fois en 1312, par l’intermédiaire de son desservant; elle est en tous cas clairement mentionnée en 1351, en tant qu’église. La seconde n’apparaît qu’en 1496. Cependant, toutes deux montrent des modes de construction et des éléments d’architecture qui les ramènent au moins dans la première moitié du XIIème siècle, sinon au XIème siècle. Il n’est pas rare que nous ignorions par qui étaient desservis certains lieux de culte, que leur architecture situe avant le XIIème siècle, et qui ne sont mentionnés que beaucoup plus tard dans les textes. Certes, dans l’évêché de Vence dont dépend Tourrettes, les textes anciens sont rares. Néanmoins, ce déficit des sources ne peut pas tout expliquer.

Nous avons proposé de conclure à l’existence de monastères privés échappant à la réforme grégorienne et à l’autorité épiscopale et restant aux mains de l’aristocratie laïque qui les destine à assurer la desserte de ses paroisses. Ces établissements sont très difficiles à saisir et on en devine surtout la présence a contrario, dans des secteurs où le service paroissial n’est pas effectué par les moines des communautés bénédictines connues. Il semblerait que les églises Saint-Grégoire et Saint-Martin aient dépendu de l’un d’eux, qui reste cependant à identifier. Ce sont, certainement pour Saint-Grégoire et probablement pour Saint-Martin, des églises du premier réseau paroissial, c’est-à-dire des églises dont l’origine et le rôle paroissial sont antérieurs à la féodalisation et qui sont liés, plus ou moins directement, à des sites occupés sous l’antiquité.

Pour Saint-Grégoire, une mention dans un texte de 1042 nous apprend qu’à cette époque existait un territoire déjà dénommé Tourrettes. Il est cité comme limite à propos de l’église Notre-Dame de Crottons, qui, sous le nom de Notre-Dame des Fleurs, appartient aujourd’hui à la commune de Vence, mais qui dépendait autrefois de la seigneurie de Malvans. Nous connaissons ainsi la frontière orientale de ce territoire de Tourrettes puisqu’une limite géographique le sépare de celui de Malvans: le Vallon de Clarel, que suit, aujourd’hui encore dans sa totalité, la limite des communes de Tourrettes et de Vence.

L’emplacement des deux églises, Saint-Grégoire de Tourrettes et Saint-Martin de Pelote, de part et d’autre du Vallon des Bouirades, nous indique que c’était ce vallon qui délimitait les deux anciens territoires, au XIème siècle encore. Comme par ailleurs il semble clair que leur limite septentrionale est la crête de la montagne et leur limite méridionale le cours du Loup, nous avons la chance de connaître de façon précise l’étendue du territoire préféodal de Tourrettes. Ceci est une chose assez rare, en partie à cause des difficultés que présente ce type de recherche, en partie aussi par un simple manque d’études ponctuelles poussées.

Nous sommes un peu moins bien renseignés sur le territoire de Pelote. Ses limites méridionale et occidentale suivaient certainement le Loup, mais il est plus difficile de dire où se situait sa limite septentrionale. Deux éléments nous amènent à être très prudents quant à sa localisation ancienne. Nous savons d’une part que Achard, qui publie à la veille de la Révolution son dictionnaire de la Provence, parle de l’ermitage de Saint-Arnoux non pas à propos de Tourrettes mais de Courmes. Nous ne pouvons dire quelle est la signification précise de cette remarque. Nous ne connaissons en effet pas l’origine exacte de cette chapelle; elle passe pour avoir été construite vers 1650 par un particulier du Bar, mais s’agit-il d’une construction ou d’une reconstruction ? En tous cas, Elle est aujourd’hui située très près de la limite de commune avec Courmes et une erreur de localisation de cette chapelle par Achard est toujours possible. Une autre remarque qui va dans le même sens est beaucoup plus claire. L’habitat médiéval de Courmettes, dont nous reparlerons plus loin, est à la fois lié de manière non équivoque au nom de Courmes et indiscutablement placé aujourd’hui à l’intérieur des limites de Tourrettes. Il semblerait donc qu’au Moyen Age, et peut-être encore à la fin du XVIIIème siècle, la limite entre les fiefs de Tourrettes et de Courmes était située plus au sud. Mais il faut bien considérer que cela n’implique en rien qu’il en était déjà ainsi avant l’époque féodale. Il résulte de tout ceci que nous ne pouvons conclure quant à l’étendue de l’ancien territoire de Pelote vers le nord.

 

La naissance des châteaux

Tourrettes et Les Valettes

Il ne semble pas, malgré son toponyme qui évoque une tour (ou plus exactement des tours, car il est généralement employé au pluriel), qu’il existe dès le XIème siècle un château de Tourrettes. En effet, des habitats portant ce nom et qui ne sont pas pourvus d’un château –les textes les dénomment sous le terme de villa – sont nombreux en Provence au début du Moyen Age. On en connaît notamment un près de Forcalquier, un autre près d’Apt, ou encore le territoire de Tourrettes (de Fayence, Var) mentionné avant 1032. Ces toponymes ont plus vraisemblablement pour origine des constructions antiques. Il semble que ce soit aussi le cas pour Tourrettes-sur-Loup où l’on trouve plusieurs traces d’une présence antique, dans l’église Saint-Grégoire et autour d’elle.

Le premier des membres connus d’une famille chevaleresque portant le nom de Tourrettes est Guillaume Amic. Il est mentionné en 1144 dans une charte de donation où apparaissent à côté de lui comme témoins, d’une part, Guillaume de Reillanne et Raimbaud de Saint-Laurent représentant les sires de Vence, d’autre part, Geoffroi et Foulque de Mougins et Pierre de Sartoux représentant les sires de Grasse. Par ailleurs, Guillaume est un prénom qui apparaît fréquemment parmi les seigneurs de Grasse et Amic un prénom qui apparaît fréquemment parmi les seigneurs de Vence de la branche des Reillanne. Il est donc probable que les premiers Tourrettes soient des cadets ou de grands vassaux des sires de Grasse ou des sires de Vence. La terre de Tourrettes leur aurait été confiée au cours de la première moitié du XIIème siècle; ils y auraient fondé un château dont ils auraient pris le nom.

Parmi les membres de la famille de Tourrettes, l’un – ou peut-être plusieurs – d’entre eux, prénommé Sicard, connaît durant le troisième quart du XIIème siècle une notoriété suffisante pour que ce prénom devienne leur patronyme, au plus tard en 1196; mais ils ont alors changé de camp. En effet, dès 1152 et à plusieurs reprises par la suite, nous les rencontrons non plus parmi les hommes des sires de Grasse, mais auprès de leurs adversaires: l’évêque d’Antibes et les consuls de Grasse. On sait que le consulat de Grasse a été mis en place par l’évêque d’Antibes et le comte de Provence pour faire échec à la puissance des grands aristocrates. Vers 1216, ces derniers arrivent cependant à prendre le contrôle du consulat et cette révolte prend un tournant décisif entre 1224 et 1227. A cette occasion, l’un des Tourrettes, Hugues Sicard, se dévoue au parti comtal qui finit par l’emporter. En 1224, comme récompense de cette aide, le comte promet à Hugues Sicard de le mettre en possession de la totalité des biens de ses ancêtres à Tourrettes, fief alors partagé avec les seigneurs de La Garde et ceux de Malvans, probablement ses parents (le château de La Garde est aujourd’hui situé sur la commune de Villeneuve-Loubet, au lieudit Tour de la Madone, celui de Malvans est aujourd’hui situé sur la commune de Vence, près de la chapelle Saint-Raphaël).

Mais ce type de promesse ne signifie pas que le comte dispose du château. Il est certain que Hugues a d’abord dû le conquérir et c’est vraisemblablement lui, dans ce but, qui dresse le château des Valettes pour contrôler la route reliant Tourrettes à Grasse. Rien ne nous incite en effet à faire remonter le toponyme Valettes plus haut que le Moyen Age classique, en tout cas pas la première mention relativement tardive, vers 1232, de ce château. Lorsque la paix revient, vers 1235, Hugues Sicard n’a pas réussi à s’approprier la totalité du terroir de Tourrettes. Une indivision subsiste jusqu’en 1261, date à laquelle Tourrettes et Les Valettes deviennent les centres de deux seigneuries distinctes. Les Sicard ont la part des Valettes.

Les Courmettes

Nous avons remarqué que lorsqu’un château médiéval se dénomme en ajoutant un diminutif au toponyme d’un autre château, nous sommes généralement en présence d’une construction dressée dans les limites d’un fief plus ancien, au cours des guerres de la fin du XIIème ou du début du XIIIème siècle. Le château de Courmettes aurait donc pour origine une telle implantation faite sur les terres de celui de Courmes. Effectivement, ce dernier apparaît dès 1176, alors que celui de Courmettes n’est signalé pour la première fois que vers 1232; il n’a sans doute été dressé que peu de temps auparavant. En revanche, il ne nous est pas possible de proposer dans quelles conditions précises il apparaît, hormis qu’il s’agit d’un contexte militaire, ce qui n’a rien de surprenant à cette époque en Provence orientale.

Nous ne savons qui a fondé Courmettes, ni qui l’a détenu ensuite. Il ne semble pas que ce soit les seigneurs de Tourrettes puisque Courmettes n’apparaît pas dans leurs transactions du milieu du XIIIème siècle; par ailleurs, les Grasse de la branche du Bar ne prêtent hommage pour ce fief qu’à partir de 1421.

Malgré tout, un lien entre Courmes, Courmettes et Les Valettes est confirmé par la suite. Dans une liste dressée en 1351, les revenus ecclésiastiques de Courmes, Courmettes et Les Valettes sont réunis en une seule prébende. De même, en 1376, on relève les mentions de trois vicaires: celui de Courmes, celui de Tourrettes et celui de Courmettes et des Valettes. Il faut peut-être voir dans cette façon de réunir à travers leurs lieux de culte Courmettes et Les Valettes la trace de l’ancien territoire de Pelote, dont ils auraient pris la succession.

 

Les difficultés de la fin du moyen age

Castrum Alpes-Maritimes

D’une façon générale, il ne suffit pas de créer un nouveau village près d’un château – un castrum – et de lui attribuer un territoire pour lui assurer un développement économique et démographique. Tout particulièrement, si cette création n’est pas accompagnée de l’abandon du site ancien, il n’est pas possible de déplacer la population en la redistribuant dans les nouvelles agglomérations.

Les guerres du début du XIIIème siècle ont entraîné la création de Courmettes et des Valettes, mais non l’abandon de Tourrettes. Que sont devenues ces deux nouvelles agglomérations durant la fin du Moyen Age ? On peut juger de la richesse et donc de l’importance relative des villages au milieu du XIIIème siècle en se référant aux sommes versées au titre de l’albergue. Cet impôt régalien, qui est le droit de gîte, était à l’origine prélevé en nature, mais rapidement, au cours du Moyen Age, il a été remplacé par une redevance annuelle calculée notamment en fonction de l’importance de la population. Selon une enquête dressée en 1252, Tourrettes devait payer 7 livres et 10 sous, alors que Les Valettes devaient acquitter 30 sous et Courmettes 15 sous seulement. Cette disparité est confirmée par les chiffres des affouagements. Ces dénombrements des diverses familles constituant la population d’un village prennent dans certains cas en compte le nombre réel des foyers pour calculer le nombre de feux; dans d’autres cas, seuls des feux fiscaux sont calculés, mais ceux-ci tiennent compte du nombre de familles et reflètent donc, même indirectement, le chiffre de population.

En 1263, Tourrettes est affouagé pour 50 feux alors que Courmettes ne l’est que pour 4. Peut-être y a-t-il eu une légère amélioration au début du XIVème siècle puisque nous trouvons 58 feux à Tourrettes et 13 à Courmettes en 1315. Mais par la suite, ni Courmettes, ni Les Valettes ne surmontent les crises de la fin du XIVème siècle. Courmettes disparaît définitivement en tant que castrum et celui des Valettes est déclaré inhabité dans l’affouagement de 1400; précisons toutefois que cela ne signifie pas qu’il est désert, mais seulement que sa population est insuffisante pour constituer une communauté viable. Seul le village de Tourrettes réussit à surmonter cette période. On n’y compte cependant que 28 foyers (réels) en 1471; nous sommes loin des 400 chefs de famille dénombrés en 1698.

Les membres de la famille de Tourrettes, quant à eux, sont encore cités à la fin du XIIIème siècle, époque à laquelle l’un d’eux est chanoine de l’Eglise de Nice. On ne sait pas comment le château tombe ensuite dans le domaine comtal; en tous cas en 1364, c’est le comte de Provence, roi de Naples, qui le vend à Rainier Grimaldi, seigneur de Menton. En 1388, lors de la prise de possession du comté de Nice par le comte de Savoie, les Grimaldi ayant opté pour ce dernier, le comte de Provence confisque leurs possessions en deçà du Var et attribue le château de Tourrettes à Guichard de Villeneuve. Ses héritiers le possèdent encore à la fin du Moyen Age.