Sur la fin de son règne, Louis XIV est amené à une longue guerre, connue sous le nom de guerre de succession d’Espagne qui offrira, après bien des vicissitudes, la couronne d’Espagne à son petit-fils.
Deux coalitions s’affrontent, toute l’Europe est concernée, mais les dites coalitions sont à «géométrie variable» en fonction de paramètres diverses et variés. Victor Amédée de Savoie, en particulier, initialement allié à Louis XIV, bascule en échange de promesses avantageuses dans le camp opposé, ce qui provoque l’ire du Roi Soleil qui va conquérir le comté de Nice et lève une armée dans ce but.
Le siège de Nice
En 1704, craignant une offensive française, les Niçois prennent toutes sortes de précautions. Mais, il ne se passa rien. Néanmoins, le 4 mars 1705, le duc de la Feuillade franchit le Var et installe son camp à Cimiez. Des unités se portent sur Sospel et la Turbie. Le 15 mars les premières tranchées sont ouvertes devant Nice. Le 10 avril, les consuls et l’évêque signent la reddition, cependant que le gouverneur, Monsieur de Carail, se barricade dans le château. Une trêve s’établit de façon tacite, car la Feuillade est nommé en Piémont. Le 28 octobre, son successeur, le duc de Berwick, bombarde la garnison de la citadelle, et après un siège en règle, le 5 janvier 1706, le gouverneur se rend. C’est alors qu’intervient une décision d’une immense portée pour le comté de Nice. Louis XIV, qui a repris le titre de comte de Nice, ordonne à Berwick de démolir de fond en comble les fortifications.
De février à juillet 1706, le génie et les sapeurs français vont démanteler complètement l’antique et glorieux château ainsi que les remparts de la cité niçoise. Nice, place de guerre depuis plus de trois siècles devient alors une « ville ouverte ».
Cependant, la situation militaire est loin d’être figée, et les coalisés reprennent les armes en 1707 et rencontrent quelques succès, de même des mercenaires non soldés mènent des actions de rapines et de saccages dans toute région, les villes côtières étant les plus menacées.
Tourrettes et cette guerre
Mais que diable Tourrettes vient faire dans cette guerre ? A cette époque les armées ne disposent que de peu de moyens de soutien au sens large du terme, et les cités traversées ou proches des zones de combat doivent pourvoir, à l’aune de leurs moyens, les troupes en divers besoins courants, fourrages, vivres, travaux d’aménagement du terrain,…Toutes ces prestations sont ensuite, théoriquement, remboursées aux communautés fournisseuses.
C’est à travers un mémoire envoyé aux procureurs de Provence listant les états de la dépense et des fournitures faites par la communauté de Tourrettes en la présente année 1707 que les édiles de la cité nous renseignent sur l’effort demandé à cette dernière. Il s’agit d’une liste assez exhaustive et hétérogène. Déjà, au titre des fournitures de toutes sortes engagées et des dégâts subis pour l’année 1705 le village de Tourrettes demande 2.169 livres, à comparer aux 139 .660 livres réclamées par Cagnes, commune du littoral particulièrement touchée.
« Premièrement, en exécution de l’ordre de Monseigneur l’Intendant nous avons fait partir de ce lieu le huitième juillet douze des meilleurs mulets dudit lieu pour aller servir aux voitures de l’armée qui ont été remis aux sieurs maires et consuls de la ville de Saint Paul avec trois hommes pour la conduite d’iceux et un maréchal ferrant qui a suivi iceux durant le temps qui a été nécessaire pour la campagne suivant. Le département qui fut fait par monsieur le juge de saint Paul, du délégué de Monseigneur l’Intendant et des sieurs maires et consuls de ladite ville desquels douze mulets n’en est retourné que six et des six qui y sont restés, en est mort trois pendant le service et les trois autres, les meilleurs, ont été retenus par des officiers suivant le certificat du trésorier.
Les particuliers qui ont fourni les dits mulets demandent à la commune payement du temps que ces dits mulets ont servi pendant la campagne et les six particuliers qui leur manque les six mulets demandent le paiement du prix d’iceux avec le temps de la campagne qu’ils ont servi avec les dommages et intérêts par eux soufferts.
Le cinquième dudit mois, ont reçu l’ordre d’envoyer deux cents hommes à Saint Laurent, à savoir un lieutenant, trente soldats de milice et deux sergents auxquels leur a été fourni des balles et poudre pour vingt coups chacun et les autres pour travailler aux retranchements qui se firent au dit Saint Laurent auxquels le comité a payé les soldats à raison de dix sols par jour et les paysans à raison de dix sols par jour ».
La liste des fournitures de l’année 1707 est encore longue. Il s’agit surtout de nourriture, ration de pain, viande surtout poulets, pigeons, lard et viande salée, vin et avoine pour les montures. Ces demandes sont formulées plusieurs fois dans l’année pour des destinataires différents, la ville de Saint-Paul, le commandant du château de Villeneuve et les troupes stationnées à Saint-Laurent et à Cannes, la commune s’exécute à chaque fois. Paradoxalement, rien n’est fourni à Grasse siège d’une garnison permanente et importante en cette année 1707.
En outre, les événements ont imposé à la population des contraintes qui leur ont fait délaisser les travaux agricoles.
« En dernier lieu, les pauvres habitants ont demeuré plus d’un mois et demi sans aller travailler à la campagne, qui est cause que la plupart du terroir a resté sans culture et qui est cause qu’on ne peut semer et perdu la plupart de ses grains qui étaient à recueillir à cause de la garde qu’on faisait tous les jours. »
L’état est signé d’Aussel, maire, de Mallet, trésorier, de Gazagnaire avec la marque de Pierre Curel, second consul, qui ne sait pas signer.
Il apparait donc à la lecture de ce document que Tourettes-sur-Loup, commune essentiellement agricole d’environ quinze cents âmes, a produit un effort considérable en 1707 pour soutenir les armées du Roy. Nous ne disposons pas de documentation pour savoir si les demandes de remboursements furent exaucées. Le seul côté positif est qu’en aucun document est signalé le décès d’un habitant du fait des combats ou pillages associés. Au rebours, il convient de signaler que le début de l’année 1709 fut marqué par une vague de froid terrible dont les céréales, les légumes et les oliviers et agrumes furent les grandes victimes. Notre village n’avait vraiment pas besoin de cela !
Dominique BAGARIA